– Prolongation jusqu’au 10 février 2019 –
Charles Aznavour nous a parlé d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, et c’est précisément au temps de cette Bohème que la nouvelle exposition présentée par le Musée de Montmartre nous ramène. En effet, l’humble garni qui lui servait de nid et ne payait pas de mine aurait très bien pu faire partie de ces lieux et ateliers mythiques, fréquentés ou habités par les peintres de Montmartre de la fin du 19e siècle au début du 20e siècle.
Tout commence après 1870, alors que Montmartre n’est rattaché à Paris que depuis 10 ans. Les bas loyers pratiqués dans ce quartier presque encore à la campagne attirent beaucoup d’artistes, parmi lesquels de nombreux immigrés ; c’est ce mélange de cultures qui forgera aussi la légende la Butte et qui en fait déjà toute sa richesse. Le parcours de l’exposition, qui rassemble près de 150 oeuvres (peintures, dessins, gravures et photographies), propose de passer d’atelier en atelier, montrant une nouvelle fois la densité de talents concentrée sur un périmètre aussi restreint que celui de la Butte Montmartre. Treize sections portent ainsi les noms de ces lieux mythiques, pour certains disparus, pour d’autres encore visibles aujourd’hui.
Les montmartrois essaieront de reconnaître le Maquis, vaste terrain vague délimité par le Moulin de la Galette, la rue Girardon et la rue Caulaincourt, à partir de la Place Constantin Pecqueur jusqu’au Lapin Agile, grâce à l’incroyable Panorama de la Butte, dessin à l’encre réalisé par Kupka (certainement depuis la terrasse de l’ancien Café Manière, aujourd’hui Le Cépage Montmartrois).
Au 73 rue Caulaincourt, vous chercherez le Cat’s Cottage, ancien pavillon de l’Exposition Universelle abritant l’appartement-atelier de Steinlen. Il existe pourtant toujours, mais il n’est pas visible de la rue. Steinlen y a créé entre autre la célèbre affiche du Chat Noir. Ce fut aussi l’adresse d’Alfredo Müller.
Le 12 rue Cortot évoque, entre autre, Renoir, qui y aménage son atelier en 1876, d’où il déplace chaque jour sa toile pour peindre Le Bal du Moulin de la Galette voisin. D’autres artistes, moins connus du grand public, y ont également vécu ou travaillé, parmi lesquels Emile Bernard ou encore Démétrius Galanis, peintre d’origine grecque qui occupa l’aile gauche du bâtiment de 1910 à 1965. Plus loin dans le parcours, après un passage par l’Atelier de Suzanne Valadon, on retrouve le trop infernal Valadon, Utrillon et Utter, auquel le Musée de Montmartre avait consacré une exposition complète en 2015, ainsi que plusieurs toiles de Suzanne pour clore l’exposition. Et ne manquez surtout pas la petite toile signée Utrillo représentant le Bureau de Poste des Abbesses !
Direction les cirques et lieux de spectacles, nombreux à cette époque autour de la Butte, et malheureusement aujourd’hui pour beaucoup disparus. La plupart des artistes fréquentaient ces endroits de fête et d’amusement qui les ont beaucoup inspiré, parmi lesquels le très beau tableau d’Edmond Heuzé, La chanteuse au Caf’Conc à l’Européen, qui illustre l’affiche de l’exposition.
La balade nous mène ensuite rue Tourlaque, d’abord au 22, ou Cité des Fusains, puis au 5, à l’angle du 27 rue Caulaincourt, qui fut l’atelier de Toulouse Lautrec, dont on ne se lasse pas d’admirer l’affiche d’Aristide Bruant ou encore du Divan Japonais.
C’est au 20 rue Véron qu’Adolphe Willette s’installe vers 1881, avant d’occuper plusieurs autres domiciles dans le quartier. Il y peint notamment la toile Zut ! V’là l’printemps qui fait aujourd’hui partie de la collection du Vieux Montmartre.
Eugène Delâtre et Edouard Lefèvre travaillèrent respectivement au 87 et au 102 de la rue Lepic (leurs ateliers se faisaient face), mais c’est dans la salle suivante que l’on peut admirer ce qui constitue le clou de l’exposition. En effet, c’est la première fois qu’est exposé le fameux Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique, peint en 1901 devant le Lapin Agile par un certain Joachim Raphael Boronali. Si vous ne connaissez pas l’histoire, sachez que ce mystérieux peintre n’était autre qu’un âne prénommé Lolo, propriété du Père Frédé, patron du cabaret. Le 11 mars 1910, Roland Dorgelès et ses amis Warnod, Genty et Girieud eurent l’idée de monter un canular dans le but de démontrer que n’importe quelle oeuvre pouvait être admise au Salon des Indépendants. Ils fixèrent donc un pinceau sur la queue de l’âne, qui barbouilla ce qui devint le fameux Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique, exposé au Salon des Indépendants, et qui y trouva même acquéreur, avant que Dorgelès ne révèle la supercherie. En 1953, le tableau fut racheté par le collectionneur d’art Paul Bédu, et est depuis exposé à Milly-la-Forêt, le sieur Bédu ayant spécifié dans son testament que la toile ne devrait jamais quitter Milly. C’est donc à titre tout à fait exceptionnel que nous pouvons aujourd’hui l’admirer au Musée de Montmartre, et rien que pour cette raison, l’exposition mérite le détour !
Impossible de retracer l’histoire des ateliers de Montmartre sans parler du Bateau Lavoir, berceau de l’Art Moderne où vécurent Picasso, Van Dongen ou encore Modigliani… Ici, ce sont surtout des photos que l’on peut voir, témoins exceptionnels de ce que fut le lieu et de ceux qui l’ont fréquenté.
La balade s’achève au 2 Impasse Girardon, où l’on peut encore aujourd’hui voir la maison de Gen Paul, peintre montmartrois par excellence (il y est né et y vécut jusqu’à sa mort en 1975), initié à la gravure par Delâtre, et qui toute sa vie durant a dessiné la Butte et ses paysages qui font toujours partie de notre quotidien.
Nous vous recommandons également de prolonger la visite dans le Pavillon Bel-Air de l’autre côté des Jardins Renoir, qui présente pour l’occasion un nouvel accrochage des collections permanentes. Et en sortant, n’hésitez pas à refaire le parcours en vous aidant du plan répertoriant tous les lieux et ateliers cités.