Celles et ceux qui connaissent l’histoire du Musée de Montmartre savent que de nombreux artistes ont occupé les ateliers des 12-14 rue Cortot, parmi lesquels Pierre-Auguste Renoir, Raoul Dufy ou Suzanne Valadon. Charles Camoin fait partie de ceux-là, et c’est à ce peintre moins connu du grand public, généralement présenté comme le « fauve méditerranéen », que le musée consacre sa nouvelle exposition.
Né à Marseille en 1879 dans une famille de peintres décorateurs, Charles Camoin monte à Paris à la toute fin du 19e siècle pour intégrer les Beaux-Arts dans l’atelier de Gustave Moreau. Après avoir accompli son service militaire à Aix-en-Provence, durant lequel il rencontre Paul Cézanne, il retrouve la capitale où s’installe définitivement avec sa maman, d’abord Place Dauphine, puis en 1907 à Montmartre. Charles Camoin voyagera toute sa vie, mais ne quittera jamais la Butte, occupant successivement le 27 boulevard de Clichy, le 6 rue Mansart, le 12 rue Cortot, le 46 rue Lepic puis, à partir de 1925 jusqu’à sa mort en 1965, le 2 bis avenue Junot.
Si deux rétrospectives importantes se sont tenues en 1997-98 à Marseille et Lausanne, l’œuvre de Charles Camoin n’a pas été exposée à Paris depuis plus de quarante ans. C’est donc une occasion unique qui nous est donnée aujourd’hui de découvrir près d’une cinquantaine de peintures et tout autant de dessins, aquarelles et pastels, à l’emplacement même d’un de ses anciens ateliers.
Le parcours de l’exposition est construit selon cinq sections réalisées à partir des liens qui unissaient Charles Camoin à Paris et à la bohème montmartroise. Ainsi, à l’inverse de ses amis peintres qui ont rejoint le fauvisme en découvrant la lumière méridionale, Camoin y a lui apporté sa culture méditerranéenne tout en cultivant son amour pour la couleur. Les toiles figurant des paysages méditerranéens sont des évidences, mais on ressent la même chaleur dans celles représentant Paris et plus particulièrement la Butte ; jamais peut-être le Moulin Rouge n’aura été aussi rouge et les maisons de Montmartre aussi ensoleillées.
La section consacrée au nu féminin est tout aussi marquante, mais c’est celle portant sur « l’affaire des toiles coupées » qui nous a le plus impressionné. On apprend ainsi qu’en juin 1914, Camoin alors installé rue Lepic, détruit environ quatre-vingts de ses toiles qu’il lacère en quatre ou huit morceaux et jette à la poubelle. Recueillies par un chiffonnier, elles sont restaurées puis vendues par divers marchands, jusqu’à ce qu’en 1925, le poète Francis Carco ne tente d’en revendre certaines à Drouot. Camoin réclame alors leur restitution et intente un procès qui finira par lui donner raison en 1931. Si quinze peintures ont pu être identifiées à ce jour portant les stigmates de leur destruction, trois figurent aujourd’hui dans l’exposition du musée de Montmartre. Non seulement, comme l’écrivit Apollinaire dans Paris-Journal, « ces tableaux sont parmi les œuvres les plus intéressantes de ce peintre », mais cette affaire est aussi l’un des éléments fondateurs des lois sur la propriété intellectuelle en France. Et afin qu’on ne l’y reprenne plus, le peintre brulera par la suite de nombreuses autres toiles…
Charles Camoin fait partie des rares artistes qui, à la fin de la Première Guerre Mondiale, choisirent de rester sur la Butte plutôt que de partir vers Montparnasse. C’est donc un bel hommage qui lui aujourd’hui rendu dans le quartier auquel il est toujours resté fidèle, et qui nous donne l’occasion de découvrir plusieurs vues de Montmartre méconnues jusqu’alors.