C’est un pari audacieux que prend le Musée de Montmartre en présentant à Paris une exposition entièrement consacrée à l’œuvre de Georges Dorignac. Ce peintre, pourtant exceptionnel, est en effet très peu connu du grand public, et le Musée de Montmartre poursuit ainsi, après La Piscine de Roubaix et le Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, cette volonté de rendre à Dorignac la place qu’il mérite dans l’histoire de l’Art Moderne.
Né à Bordeaux en 1879, Georges Dorignac entre à l’Ecole Municipale des Beaux-Arts à 13 ans, puis rejoint Paris en 1898 où il intègre L’Ecole Nationale des Beaux-Arts dans l’atelier de Léon Bonnat. Six mois plus tard, il décide de quitter l’atelier pour entamer une carrière de peintre indépendant. En 1901, il s’installe à Montmartre au 22 rue du Chevalier de la Barre, puis expose pour la première fois en 1902 au Salon des artistes indépendants. Il s’inscrit alors dans le mouvement impressionniste, tout en s’inspirant de l’école espagnole.
Sa carrière est lancée, jusqu’à ce qu’en 1910, il soit victime d’un escroc qui le prive de quatre années de sa production. Il quitte alors Verneuil sur Seine, où il vivait depuis plusieurs années, pour s’installer à La Ruche de Montparnasse, où il va côtoyer un grand nombre d’artistes. En 1912, il change radicalement de style en renonçant à la couleur et entame sa période noire avec des visages et des nus d’ébène. Il utilise le fusain et expérimente avec succès le monotype à l’encre grasse.
En parallèle, il travaille sur de nombreux projets de décoration (tapisserie, céramique, vitrail, céramique) autour de thèmes religieux ou profanes, et signe en 1922 l’affiche du Salon d’Automne, dévoilant une autre facette totalement différente de son immense talent. Georges Dorignac meurt prématurément le 21 décembre 1925 des suites d’un ulcère à l’estomac, mais n’aura eu de cesse de renouveler sa façon de peindre tout au long de sa vie. Quatre expositions de ses œuvres sont organisées en 1926, une rétrospective en 1928 par la galerie Marcel Bernheim, puis le peintre tombe peu à peu dans l’oubli…
C’est ce qu’on pourrait appeler le mystère Dorignac : comment un artiste aussi puissant et talentueux a-t-il pu disparaître de la mémoire artistique collective ? L’exposition actuellement présentée au Musée de Montmartre remet en lumière de façon tout à fait magistrale le génie du peintre. Suivant un parcours chronologique, on peut découvrir 85 œuvres (peintures, aquarelles, sanguines, fusains) réalisées entre 1901 et 1924, dont près de la moitié n’ont jamais été présentées au public.
La première section est consacrée à la période impressionniste de Dorignac, et met en regard ses œuvres avec celles des maîtres qui l’ont inspiré tels que Signac , Eugène Carrière, puis plus tard Millet et Rodin. La deuxième section, la plus importante, regroupe près de 50 œuvres, fusains et sanguines, dont les impressionnantes « feuilles au noir », les monotypes, la série des masques et visages, où l’on peut admirer deux sculptures de Rodin, la série des travailleurs puis des danseuses, et surtout l’exceptionnelle série de nus.
Rodin* disait de Dorignac qu’il sculptait ses dessins. De par sa parfaite connaissance de l’anatomie apprise durant son apprentissage aux Beaux Arts et son don pour le dessin, l’artiste restitue dans toute sa splendeur la force et la beauté du corps humain. Travailleur acharné et artiste érudit, Georges Dorignac a mis sa vie au service de la beauté et de la pureté ; c’est pourquoi son œuvre interpelle et fascine autant.
La dernière section de l’exposition dévoile quant à elle les projets décoratifs destinés à la tapisserie, la céramique, le vitrail ou encore la mosaïque, et il est intéressant de voir à quel point ces projets diffèrent radicalement du reste de son œuvre.
L’exposition se poursuit hors les murs puisque dans le cadre d’un partenariat entre le Musée de Montmartre et la Basilique du Sacré Cœur, l’huile sur toile Christ en Croix est présentée dans la chapelle Saint François d’Assise jusqu’au 8 septembre, tandis que la partie basse du dessin préparatoire est elle présentée dans le parcours d’exposition.
Le mystère Dorignac reste d’autant plus entier que la quasi totalité de sa correspondance a été détruite ou a disparu… Quant à son œuvre, elle été dispersée au fil des années, et il faut espérer que cette exposition permettra d’en retrouver de nouvelles, qui sait peut-être totalement inédites…
Quoi qu’il en soit, l’exposition « Georges Dorignac, Corps et âmes » mérite amplement de faire partie des expositions parisiennes incontournables de l’année 2019, et le Musée de Montmartre peut se féliciter d’avoir osé présenter un artiste aussi exceptionnel et bouleversant que méconnu.