Depuis plus d’un siècle, nombreux sont les peintres à avoir élu domicile à Montmartre. Beaucoup plus rares sont ceux qui y exercent toujours. Henri Landier est peut-être le seul à occuper le même atelier depuis tant d’années. A l’aube de ses 90 printemps, l’artiste-peintre et graveur continue de travailler quotidiennement dans ce lieu incroyable ouvert en 1974 au 1 rue Tourlaque ; un lieu qui incarne la tradition mais également la passion d’un artiste hors du commun, ivre de créativité et de liberté.
Descendant d’une lignée parisienne depuis la Révolution Française, Henri Landier s’installe à Montmartre en 1952. C’est son ami Jean d’Esparbès qui lui fait découvrir le quartier, fréquenté par de nombreux jeunes artistes comme lui. Pourtant, il s’affranchit très vite de ce milieu bohème qu’il n’apprécie pas beaucoup, considérant d’abord la peinture comme un travail sérieux et rigoureux. Formé aux Arts Appliqués, il y apprend énormément de choses, à commencer par le dessin. Il quittera pourtant l’école au bout d’un an, encouragé par l’un de ses professeurs : “Landier, vous n’avez plus rien à faire ici, vous, c’est la vie qui vous intéresse. Vous auriez peut-être intérêt à faire les Beaux Arts”. Une école où il ne restera que trois semaines, trouvant l’ambiance pas assez studieuse à son goût.
Car Landier n’a encore aujourd’hui de cesse de le répéter : l’art, c’est sérieux. Quand il pose une toile vierge sur le chevalet, il sait très exactement ce qu’il va y faire. Le trait est la base de son oeuvre, après vient la couleur. C’est aussi pour cette raison qu’il est passé maître dans l’art de la gravure, “un art difficile, astreignant et qui nécessite beaucoup de force.” C’est chez Lacourière rue Foyatier qu’il a fait ses armes, avant d’ouvrir son propre atelier de peinture et de gravure rue Tourlaque. “Je me suis volontairement mis à part car je trouve que les artistes ont souvent la grosse tête. Je trouve très désagréable qu’ils fassent d’abord parler d’eux avant de parler de leur travail. C’est aussi pour ça que je suis resté en dehors du marché de l’art”.
S’il a toujours préféré rester en marge du milieu artistique traditionnel, il est beaucoup plus familier avec le milieu littéraire. Grand ami de Pierre Mac Orlan et surtout de Jacques Prévert, il a également fréquenté le Théâtre de l’Atelier et réalisé des décors pour des pièces de théâtre. Il avoue d’ailleurs avoir été très influencé par ses amis écrivains, travaillant son oeuvre par thèmes comme les écrivains par sujet. Une oeuvre inspirée par la vie, “parce que la fonction de la peinture c’est de représenter”, et surtout colossale, puisqu’à ce jour, Henri Landier a réalisé pas moins de 2000 gravures et plus de 5000 peintures ! “Mais il me faudrait encore 10 vies pour réaliser tout ce que j’ai dans la tête !”
Ce grand amoureux de la mer (il a d’ailleurs été marin quelques années) revendique son indépendance et sa liberté, rendues possibles grâce à l’acquisition de son atelier. Ouvert au public une fois par an en mai et juin, on peut aussi le visiter sur rendez-vous. Depuis 2022, un second espace rue des Trois Frères où il expose ses gravures toute l’année lui permet d’être moins dérangé pour travailler.
Les oeuvres d’Henri Landier voyagent aujourd’hui dans le monde entier, témoignant de la reconnaissance internationale de son talent. Mais c’est à Montmartre qu’il continue de peindre, dans ce quartier qui l’a tant inspiré : “J’aime Montmartre parce que je trouve ça beau. La rue Durantin est magnifique. Quand je vais de l’atelier à la galerie rue des Trois Frères, je suis toujours émerveillé. On peut tout dessiner, c’est inépuisable.” D’ailleurs, il prépare actuellement une exposition sur le quartier, pour mettre en parallèle ses créations récentes et celles de ses débuts, confrontant le regard du peintre de 17 ans à celui du peintre d’aujourd’hui. Parmi ses autres projets, il aimerait faire une exposition “du peintre inconnu”, en hommage à Robert Naly, peintre montmartrois, disparu avec la majeure partie de son oeuvre dans l’incendie de son atelier rue Saint-Vincent en 1983. “J’aimerais aussi travailler sur le thème des manifestations, mais pour ça il me faudrait au moins deux ans, et je ne sais pas si j’aurais le temps…”
Fidèle à ses convictions et à sa vision de l’art, l’œuvre d’Henri Landier, empreinte de sincérité, continue de toucher et d’inspirer ceux qui la découvrent : “Souvent, les gens me disent que mes tableaux les rendent heureux”. C’est Prévert qui m’a dit un jour “tu sais Landier, la vie est belle”. Lui, c’était un vrai poète”. Henri Landier en est un grand aussi.
Exposition « Retour à Venise » jusqu’au 7 juillet 2024 de 14h à 19h à l’Atelier d’art lepic 1 rue Tourlaque.