Je sais que mon père (…) se laissa entièrement absorber par le village de Montmartre, qui n’était pas encore tombé dans le pittoresque*. Ces quelques mots, écrits par son fils Jean, résument assez bien la relation qu’entretint Auguste Renoir avec notre quartier. En effet, de nombreux tableaux du maître ont été peints sur la Butte, et à l’heure du centenaire de sa mort, il est temps de partir sur les pas d’Auguste Renoir à Montmartre…
L’histoire commence en 1876, lorsqu’Auguste Renoir loue un modeste atelier au 12 rue Cortot (actuel Musée de Montmartre) pour peindre Le Bal du Moulin de la Galette, car quand un motif le passionnait, il aimait vivre le nez dessus. (…) La maison de la rue Cortot était délabrée, ce qui ne gênait nullement Renoir, mais par contre elle offrait l’avantage d’un grand jardin qui s’étendait derrière, dominant une vue magnifique sur la plaine Saint-Denis. (…) Dans cette oasis, il peignit de nombreux tableaux, car il ne travaillait jamais à un seul objet. Ce n’est évidemment pas un hasard si les jardins du Musée de Montmartre portent aujourd’hui le nom de Jardins Renoir.
Le matin, aidé de quelque compagnon fidèle, Renoir transportait la grande toile et peignait. Pour recruter ses modèles, il sympathise avec les mamans et distribue, entre autre, des chapeaux, qui seront sa caution. Bien vite, les Montmartrois adoptèrent ce personnage « vif comme du vif-argent suivant l’expression d’un de ses modèles.
On l’ignore, mais Auguste passait aussi son temps à distribuer du lait, des biscuits et des mouchoirs aux nombreux gamins qui traînaient dans la rue. C’est ainsi qu’il se mit dans la tête de fonder une institution où des femmes sans travail garderaient les poupons que les mères devaient abandonner momentanément. On appellerait l’endroit Le Pouponat. Il réussit à convaincre M. Debray, propriétaire du Moulin de la Galette, d’organiser un grand bal costumé au bénéfice de son projet. Malheureusement, les fonds récoltés resteront largement insuffisants, et ce n’est que plus tard que Mme Charpentier créera réellement une pouponnière là où il avait rêvé de la faire.
Parmi les lieux fréquentés par Auguste Renoir à Montmartre et qui l’ont inspiré, on peut citer l’actuelle Bonne Franquette (anciennement Aux Billards en Bois), le restaurant de la rue des Saules où mon père exécuta La Balançoire. Hélas ! le beau jardin est remplacé par une terrasse vitrée. Montmartre paie très cher la gloire d’avoir hébergé quelques-uns de ceux qui ont influencé le mouvement artistique de la fin du dernier siècle.
En 1880, il rencontre Aline Charigot, native d’Essoyes dans l’Aube, qui devient son modèle avant d’en tomber amoureux. C’est elle qui, peu de temps avant la naissance de Pierre, leur premier enfant, et alors qu’ils ne sont pas encore mariés, conseille à son mari de prendre un appartement séparé de son atelier (alors rue Saint-Georges), comme cela le nouveau-né pourrait piailler à son aise. Elle trouva un quatre pièces avec une grande cuisine rue Houdon, (…) ainsi qu’un petit logement pour sa mère sur la Butte. En 1889, une amie lui parle d’une petite maison vacante, un coin de Montmartre resté comme à la campagne. La famille s’installe alors au Château des Brouillards, 13 rue Girardon.
Le Château des Brouillards était au bout de la rue Girardon, en équilibre instable au bord du plateau glaiseux. (…) Une haie entourait le domaine composé de plusieurs bâtiments et d’un jardin. (…) Le long de notre barricade, il y avait des rosiers retournés à l’état sauvage. (…) Il y avait aussi un pré avec des vaches. (…) Pour les Parisiens, ce petit paradis de lilas et de roses semblait le bout du monde. Les cochers refusaient d’y monter, arrêtant leur fiacre soit à la Place de la Fontaine-du-But, et alors il s’agissait de grimper le talus pour arriver à la maison, soit même rue des Abbesses…
Jean Renoir naît au Château des Brouillards le 15 septembre 1894, dans le pavillon 6 du 13 de la rue Girardon, et est baptisé à Saint-Pierre de Montmartre. Il y passe toute sa petite enfance, et en garde de nombreux souvenirs heureux ; sur la Butte, on ne se faisait pas de visites, mais on se voyait tout le temps. Il n’y avait jamais d’invitations à déjeuner ou à dîner. Mais on disait « j’ai une blanquette de veau, est-ce que ça vous chante ? ». Durant cette période, Auguste occupe un atelier rue Tourlaque, et traverse le Maquis quatre fois par jour, un terrain sauvagement défendu par d’épais buissons d’aubépines, où les baraques des habitants semblaient étouffées par cette végétation. (…) L’actuelle avenue Junot était un fouillis de roses.
En 1897, la famille quitte la Butte pour s’installer rue de la Rochefoucauld, avant de revenir emménager au 43 rue Caulaincourt. Auguste loue alors un atelier au N°73, une belle pièce de plain-pied avec un petit jardin (…). Le dessinateur Steinlen et le peintre Fauché habitaient l’un au sous-sol, l’autre au premier de cet immeuble aux poutrelles apparentes, construit dans le style vieille Angleterre. Les Renoir y seront témoins de l’incendie du Maquis, avant de quitter Paris pour Cagnes-sur-Mer en 1903. La rue Caulaincourt sera ainsi l’une de leur dernière adresse à Paris.
A l’époque où les Renoir vivaient au Château des Brouillards, ils achetèrent une maison à Essoyes, village natal d’Aline. Celle-ci avait en effet convaincu son mari de s’y rendre plus souvent, en argumentant sur le fait qu’il y trouverait de nombreux modèles à meilleur prix qu’à Paris. Ce fut en effet le cas, mais surtout Renoir y appréciait plus que tout la beauté des paysages : Les endroits que Renoir préférait étaient ceux où l’Ource court sur les cailloux : « de l’argent en fusion » disait-il. On retrouve ces reflets dans beaucoup de ses tableaux. Mon père se portait bien à Essoyes, et, tout en couvrant sa toile de couleurs, il s’amusait de notre compagnie et de celle des villageois.
Avec l’achat de la maison d’Essoyes, le couple Renoir devient propriétaire pour la première fois, madame Renoir réalisant son rêve de posséder un pied-à-terre dans son village natal. Cette maison fut durant plus de trente ans la maison de vacances des Renoir, et à la mort du peintre en 1919, c’est Pierre, l’ainé des fils, qui en hérite, puis son fils Claude Jr et enfin Sophie Renoir. En 2012, celle-ci décide de vendre la maison à la commune d’Essoyes qui, après avoir porté durant plus de dix ans le projet d’ouverture de l’atelier du peintre au public, s’engage alors dans celui de réhabilitation de la maison.
Depuis 2017, on peut ainsi visiter la maison familiale, l’occasion de découvrir ce charmant village ainsi que les vignes alentour, et de déguster le merveilleux champagne de la région. A l’occasion de la commémoration des 100 ans de la mort du peintre, de nombreux événements sont programmés, parmi lesquels une très jolie exposition sur l’histoire du cinéma et des Renoir, ou encore l’évocation de l’exposition Renoir de 1934 par Paul Rosenberg.
Une fois n’est pas coutume, nous vous encourageons vivement à quitter la Butte pour prolonger la balade sur les pas de Renoir à Montmartre jusqu’à Essoyes…
Plus d’infos sur le site www.renoir-essoyes.fr
*Extraits du livre Pierre-Auguste Renoir, mon père de Jean Renoir