cadavre exquis 2

Publié par Les Ateliers de l'Heure Bleue le 2 novembre 2016

Cadavre Exquis 1 & 2

(Jean-Benoît avait écrit)

Alors qu’elle n’avait pas encore dégluti, elle vit sa main se précipiter sur la coupelle remplie à ras bords. Machinalement, elle glissa l’ongle manucuré rose dans l’interstice de la coque. Celle-ci s’ouvrit dans un bruit sec et rapide, libérant la pistache que les doigts capturèrent et lancèrent sur la langue. Pendant qu’elle mâchait, elle regardait Bruno qui lui parlait.

– Alors là je lui dis tu vois, ça c’est une porte en mâchefer. C’est un brouilleur de téléphones portables incroyable, le mâchefer !

Elle ? Elle mâchonnait. Comme il arrêta de parler en la regardant, elle comprit qu’elle devait dire quelque chose.

– Ah ouais ?

– Voilà ! Exactement, c’est ce qu’elle m’a répondu. Elle m’a dit mais le mâchefer, c’est fait en quoi ?

– Ah oui, c’est vrai ça, c’est fait en quoi ?

– Exactement. Je lui ai répondu bah tu vois le mâchefer, c’est un mélange de fer et…

– Et de mâche ?

Bruno n’avait donc plus de doutes. La fille la plus jolie de la soirée était aussi la plus idiote, accro aux pistaches, au risque de casser ses beaux ongles roses.

Que faire ? Bruno n’osa pas répondre à la question et chercha rapidement sur quoi embrayer.

 

(David écrit à la suite)

 

« Oui, comment le saviez-vous ?! La mâche est effectivement riche en fer et l’alliage, l’alliance devrais-je dire, entre le métal et le végétal renforce l’équilibre structurel global de la pièce par précipitation chimique des gaz en suspension contenus dans les feuilles, c’est passionnant non ? »

« Connard va ! » Mademoiselle Pistache tourna les talons dans un soupir bruyant. Bruno fêta sa victoire quelque peu honteuse avec un triple Jack Daniels : il devenait urgent d’initier le processus d’oubli de cette rencontre vernis.

Tout ça c’était à cause de Charlotte, son ex. Elle l’avait appelé au boulot dans l’après-midi « viens ce soir, y’aura quelques nazes mais aussi des bons cocktails. C’est l’anniversaire de la sœur d’une amie. » Ca ou un énième film d’Almodovar, Bruno s’était laissé tenté par cette soirée d’anniversaire d’une inconnue. Délaissant son verre vide pour tenter une opération de sociabilisation molle, il aperçut Charlotte qui lui intimait de la rejoindre dans un geste du bras que Bruno jugea désagréablement masculin ; installée au bout du bar Charlotte semblait en conversation avec une jeune femme au dos très droit et très nu. Bruno longea le bar avec difficulté et, s’approchant de ce dos offert, il se figea face à cette lune dépressive  tatouée sur l’omoplate gauche. Bruno utilisait cette lune si reconnaissable dans toutes les bandes dessinées qui avaient fait son succès ces dernières années : c’était sa signature.

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75018 Paris


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