Ce désert d’un premier matin du monde

Du 06 janvier 2022 au 17 février 2022

Publié le 18 octobre 2021

Exposition de Didier Ben Loulou

Vernissage mercredi 5 janvier 2022 de 16h à 20h

Exposition du 6 au 16 janvier (Sur rendez-vous au 07 61 67 32 86)

Visite par groupe de 10 personnes maximum

Réservation en ligne uniquement ici

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« Si j’ai du goût, ce n’est guère

Que pour la terre et les pierres. »

Arthur Rimbaud

Ce désert d’un premier matin du monde ; ce sont les monts de Moab violets à l’horizon qui apparaissent comme dans un rêve, à l’aube ; des chardons bleus qui vibrent dans l’air brûlant quand « à certaines heures la campagne est noire de soleil » ; ce sont des wadis, des cyprès ; c’est la rencontre avec un berger qui mène son troupeau de moutons entre deux collines, des tiges d’avoine dans le vent de mai et la chaleur desséchante du Khamsim ; ce sont des ruines du temps des croisés, les grottes de Qumran qui enferment dans des jarres des parchemins aussi vieux que les prophéties d’Isaïe, les plaques de sel sur la mer Morte ; c’est le goût des dattes, la soif cruelle sous le soleil au zénith ; ce sont des nuages de poussière, des chemins rocailleux qui se perdent vers Jéricho, des monastères à flanc de montagnes, des os de bêtes desséchés qui se confondent avec la pierre ; c’est la douceur du soir à Nabbi Moussa ; c’est se baigner dans une rivière à Ein Prat ou dans les cascades de Ein Gedi comme jadis le roi David ; c’est lire le Cantique des cantiques comme on lit le Kâma-Sûtra dans la cafétéria d’une station-service ; c’est s’abriter sous un palmier, chasser les mouches dans la vallée du Jourdain, partager un café au goût de cardamome avec un bédouin dont l’hospitalité ressemble à celle du patriarche venu d’Ur Kasdim ; ce sont, l’hiver, les nuages qui cavalent sur les collines de Jérusalem ; c’est le gémissement d’un chacal, celui des chiens sauvages ; ce sont des villages arabes pareils à des guirlandes lumineuses à la nuit tombante, des Sodome englouties au fond du lac salé et la triste mélodie d’un joueur de oud qui s’envole dans la nuit qui vient ; c’est la chanson de Fairuz, Kifak Inta?,qui sort des portes ouvertes d’une voiture sur le bord d’une route ; ce sont des colchiques d’automne qui poussent par milliers non loin du monastère Saint-Élias, des livres de prières abandonnés sur d’antiques tombes juives ; c’est la neige sur des amandiers en fleurs, épaisseur immaculée sur le cimetière millénaire du mont des Oliviers ; c’est boire un verre d’arak glacé sur un balcon à Nahlaot ; ce sont des fragments de mosaïques byzantines sur la route de Bethléem, des oliveraies non loin de Lifta, des tessons de poteries, restes d’Empires disparus, des parfums d’orangers qui arrivent de la côte ; c’est découvrir Hérodion et son palais pareil à un volcan endormi au bout d’un chemin ; c’est vivre pieds nus sur un dallage polychrome d’une bâtisse arabe. Judée, désert antérieur à tout discours, où la liberté est possible au cœur du monde, loin des passions tristes, des paroles inutiles, des inquiétudes qui nous étouffent ; c’est là où réapprendre à espérer et à accueillir, dans une sorte d’harmonie et de paix intérieure, une vie d’homme qui passe.

Didier Ben Loulou, Jérusalem, 2021

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