Difficile de faire comme si de rien n’était quand on se promène depuis quelques mois à Montmartre. Entre panneaux de signalisation incompréhensibles, travaux sans fin, suppression des places de stationnement, embouteillages inédits depuis la fermeture de la rue Tourlaque, déambulation quotidienne de groupes de touristes de plus en plus nombreux et bruyants, prolifération de magasins de souvenirs Made In China et de meublés touristiques, la vie sur la Butte serait-elle devenue un enfer ? Bon nombre de riverains ne sont pas loin de le penser, comme en témoignent les banderoles qui fleurissent aux fenêtres, ou le nombre de signataires (8000 à ce jour) de la pétition remettant en cause le projet de piétonnisation du quartier. Dernière preuve en date : la manifestation organisée devant la Mairie lundi 26 mai à l’initiative du collectif citoyen « Les Voix du 18e » composé d’une dizaine d’associations locales ; une première dans un quartier où les guerres de clochers sont légion et où les associations ont souvent du mal à s’entendre. Mais alors, que se passe-t-il vraiment en ce moment à Montmartre ?
Le surtourisme : un phénomène préoccupant
C’est indéniable, les touristes sont de plus en plus nombreux sur la Butte. Ils sont ainsi plus de 11 millions à visiter le quartier chaque année, représentant 423 touristes par habitant ! Si cette affluence témoigne de l’attrait mondial de Montmartre, elle met aussi en lumière une réalité bien plus préoccupante : celle du surtourisme, avec son cortège de nuisances et de transformations irréversibles pour le quartier et ses habitants.
Caractérisé par un excès de fréquentation, le surtourisme remet en cause à la fois la préservation du lieu, la qualité de la visite mais surtout, l’acceptabilité sociale du tourisme. C’est précisément ce qui se joue à Montmartre, où la vie locale s’efface peu à peu au profit d’une consommation touristique intensive.
Sur le haut de la Butte, plus aucun commerce de proximité ne subsiste, hormis la Pharmacie du Tertre, et plus aucun lieu n’est dédié aux habitants. Progressivement, le phénomène s’étend jusqu’aux Abbesses, où les commerces de proximité sont remplacés par des boutiques de souvenirs et des enseignes standardisées ; une désertification commerciale qui met en péril les commerces de bouche, essentiels à la vitalité du quartier. Une politique de préemption ciblée, orientée vers les commerces alimentaires et culturels, ne pourrait-elle être mise en place pour rééquilibrer l’offre ?
Des flux impossibles à canaliser
La gestion des flux touristiques dans un espace urbain ouvert reste un défi majeur. Contrairement à des lieux fermés comme les musées, il est difficile de limiter les passages dans un quartier vivant. Et comme le soulignait Rémy Knafou, géographe spécialiste du tourisme, lors de la conférence organisée en mars dernier par l’ADDM (Association de Défense de Montmartre), « ce sont les touristes qui ne dorment pas sur place qui passent et qui laissent des papiers gras. » Bien que les cars de tourisme n’aient officiellement plus le droit de stationner au pied de la Butte depuis août 2000, force est de constater qu’ils sont de plus en plus nombreux à braver l’interdiction, déversant chaque jour des « troupeaux » de visiteurs et de guides vociférant dans leurs micros.
Mobilité en crise : résidents et artisans pénalisés
La question de la circulation et du stationnement à Montmartre constitue un autre motif de mécontentement. Face à la suppression de la quasi-totalité des places de stationnement sur le haut de la Butte, de nombreux riverains se sont mobilisés pour que le projet de piétonnisation soit réétudié. La topographie escarpée du quartier et l’insuffisance de transports en commun, notamment sur la ligne 40, compliquent la vie des résidents, qui, tandis qu’on leur interdit l’accès à leur lieu de résidence en voiture, voient proliférer des ballets de 4L et autres side cars touristiques. L’accès est également rendu quasi impossible aux artisans qui sont de plus en plus nombreux à ne plus accepter de chantiers à Montmartre.
Les nuisances ne sont pas uniquement sonores ou visuelles : elles touchent à l’âme même du quartier. Terrasses bruyantes, mobilier urbain négligé ou endommagé par les cadenas, poubelles qui débordent, rues pas assez nettoyées… autant de symptômes d’un quartier que beaucoup ne voient plus que comme un parc d’attraction.
Mais nous pensons sincèrement qu’il est encore temps d’agir. Cela suppose une volonté politique forte, des outils réglementaires rigoureux, et surtout, une vision qui ne rejette pas le tourisme, mais qui le réinvente de manière durable et respectueuse. Les riverains, inquiets pour l’avenir de leur quartier, espèrent des mesures concrètes. Un groupe de travail, composé d’habitants du quartier, a même été constitué, afin d’imaginer un avenir plus serein pour Montmartre. Affaire à suivre…
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